Qu’est-ce que la neuropédagogie ?

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Sous l’impulsion du Ministre de l’Éducation Nationale Jean-Michel Blanquer, la neuropédagogie est sur le point d’entrer dans le système scolaire français, conduite par l’un de nos plus brillants cerveaux : Stanislas Dehaene. Aux critiques négatives qui condamnent toute nouveauté, comme à l’enthousiasme évangélique que suscite le préfixe neuro_, la meilleure réponse réside dans la découverte objective de la neuropédagogie, comme science de l’apprentissage, basée sur plus de 15 années d’expérience de l’auteur de ces lignes.

La neuropédagogie est à la croisée des chemins de 3 autres disciplines.

Les neurosciences

De la neuropédagogie, les critiques ne retiennent que les neurosciences, soulignent leur apport limité dans les apprentissages, affirment qu’elles ne font que constater le résultat de ce qui a déjà été étudié par d’autres disciplines. En cela, ils ont globalement raison. Les neurosciences sont jeunes, les appareils de neuroimagerie médicale sont loin d’être suffisamment performants pour observer adéquatement le cerveau humain (1), les scientifiques qui les utilisent ne peuvent faire que des inférences, souvent erronées, il existe des problèmes de traitement statistique des échantillons par rapport aux normes requises dans d’autres disciplines pour valider une expérience (2), etc.

Les neurosciences bénéficient d’une aura exagérée, alors que bien souvent, elles ne remplissent pas les critères ordinaires que l’on applique aux autres sciences. Mais les mathématiques ne passeraient pas non plus à travers le filtre de la méthodologie scientifique. Voilà pourquoi elles ne sont pas une science mais une discipline hypothético-déductive, ce qui, naturellement, n’enlève rien à leur immense utilité, on en conviendra tous.

De l’autre côté, à chaque fois que l’on explique les bases neuroscientifiques du cerveau humain aux apprenants de tout âge, on observe un grand intérêt et une augmentation de la confiance en leur capacité d’apprendre, un puissant moteur de la motivation intrinsèque (3).

D’autre part, le « simple » fait de connaître les relations qu’entretiennent neurones et cellules gliales (parmi d’autres composantes) suffit à modifier ses représentations de l’apprentissage et plus largement de la cognition. Cela concerne au premier plan les chercheurs en neuropédagogie, mais aussi les praticiens (formateurs, enseignants) qui ont la charge de transmettre une information et favoriser sa transformation en connaissance.

Également, aborder un problème en se reposant sur ses connaissances et en intégrant plusieurs représentations d’une même réalité observée est essentiel à la créativité, donc à la découverte scientifique. La créativité est essentielle à tous, y compris aux formateurs qui doivent pallier les problèmes imprévus.

De même, les neurosciences ont permis à l’intelligence artificielle de faire un bond technologique prodigieux, qui a été rendu possible grâce à l’observation du cerveau humain, si bien que les grands projets cherchent à fabriquer des neurones et synapses artificiels. Les retombées pratiques se mesureront très prochainement, y compris en matière d’apprentissage.

Par conséquent, les neurosciences n’invalident ni ne se substituent aux autres sciences. Elles ne peuvent encore moins prétendre à une quelconque supériorité. A chaque échelle (neurale, individuelle, sociale) correspondent des démarches appropriées basées sur la méthode scientifique – plus ou moins adaptée – qui viennent résoudre des problèmes singuliers ou communs. Ce que l’on constate à une échelle n’est donc pas automatiquement transposable à l’autre.

La psychologie

En réduisant la neuropédagogie aux neurosciences, les critiques commettent une grossière erreur de représentation, alors que les évangélistes laissent faussement à penser que les neurosciences sont la science ultime.

Ne soyons pas naïfs. Derrière les querelles entre disciplines comme entre les scientifiques qui les incarnent, il existe certes le désir de chercher à comprendre le monde (objet des sciences) avec des approches différentes, mais aussi la volonté de trouver des financements et une certaine reconnaissance. Bruno Della Chiesa a dit que pour un scientifique, la meilleure façon de se faire connaître est de démolir les travaux d’un collègue, alors que le classement de Shangaï, le « publish or perish » et bien d’autres éléments, ont profondément dénaturé l’environnement des travaux scientifiques.

La neuropédagogie est fondamentalement interdisciplinaire. Elle est certes formée de neurosciences, mais aussi de psychologie, plus particulièrement de psychologie de l’éducation et de psychologie cognitive.

Si l’objectif de la psychologie est d’étudier le comportement humain au sens le plus large, la psychologie de l’éducation s’intéresse plus particulièrement au phénomène de l’apprentissage. En cela, elle est sans doute la discipline qui se rapproche le plus de la neuropédagogie, mais elle n’est pas prisée par les étudiants en France. Que l’on se rassure, même aux Etats-Unis, les professeurs d’Université déplorent que les découvertes en psychologie de l’éducation et autres « learning sciences » n’ont pas impacté l’apprentissage. En fait, des rapports indiquent que globalement, les étudiants américains sont informés qu’il existe des moyens d’apprendre plus efficaces, issus des « learning sciences », mais qu’ils ne les appliquent pas.

L’esprit humain ne traite pas directement les stimuli qui proviennent de son environnement, ne serait-ce que parce que ceux-ci sont des signaux captés, décodés et réifiés par des systèmes complexes. L’esprit humain interprète donc ces signaux. Nous ne sommes pas en prise avec le réel, mais avec une copie du réel. Vous pouvez faire une expérience très simple. Prenez deux crayons bien taillés et fermez les yeux. Posez les mines des deux crayons sur l’extrémité de votre index, de manière à ce qu’elles la touchent en même temps. Vous pourrez distinguer ces deux mines. Retirez les crayons de l’extrémité de votre index, puis posez-les à un endroit de votre index plus proche de votre paume. Toujours les yeux fermés, répétez cette opération plusieurs fois (je pose les mines de crayon, puis je les enlève) en rapprochant progressivement les mines de crayons de la paume de votre main. Plus celles-ci sont proches de la paume, moins vous pourrez les distinguer, jusqu’à ne plus les distinguer du tout. Nous sommes dans une situation où le réel indique que 2 mines de crayons sont en contact avec la peau de votre paume, mais que, si vous avez les yeux fermés, vous n’en percevez qu’une.

On dit que l’esprit humain est un système qui crée ses représentations personnelles du monde afin de pouvoir y évoluer et poursuivre ses objectifs. La discipline qui étudie cela en termes de fonctions est la psychologie cognitive. La psychologie cognitive étudie ainsi la décision, le raisonnement, la mémoire, la perception, l’attention, l’émotion et le langage.

Les apports de la psychologie cognitive aux apprentissages sont indéniables, mais ils n’ont guère impacté les pédagogies ou les environnements d’apprentissage et de travail. Par exemple, l’open space est toujours très prisé alors qu’il perturbe la concentration, surtout lorsqu’on atteint les 40 ans où la mémoire de travail inhibe plus difficilement les stimuli. Il s’ensuit une perte de performance, de productivité, de bien-être. La théorie des géons de Biedermann est connue depuis les années 80 et elle pourrait être employée pour améliorer l’apprentissage, le traitement et la production de tout document, augmentant ainsi la productivité. XOS intègre la théorie des géons dans la production de ses formations, au moins en partie.

La pédagogie

Troisième composante de la neuropédagogie, la pédagogie a pour objet d’étudier les relations qu’entretient l’apprenant avec ce qu’il doit apprendre, afin de générer une action efficace pour y parvenir, dans le cadre de certaines valeurs. La pédagogie est donc transdisciplinaire là où la didactique est plutôt liée à l’étude du fonctionnement d’une discipline en particulier (didactique des langues, des mathématiques, etc.).

Il existe de nombreuses pédagogies, et des modes (aujourd’hui la mode est à la classe inversée) mais seules 2 ou 3 sont employées. Il suffit qu’une équipe de chercheurs évalue négativement une pédagogie, que cette évaluation trouve un écho favorable, pour qu’on l’abandonne. Alors que lorsqu’on étudie attentivement les différentes pédagogies, et les évaluations de leur efficacité respective (pas une évaluation, mais plusieurs), on s’aperçoit qu’à chaque situation d’apprentissage – et même à chaque formateur – correspond une ou plusieurs pédagogies appropriées. On ne peut donc affirmer, par exemple, que la classe inversée soit la panacée ni le cours magistral le mal absolu.

De la même manière, et je reviens à la psychologie cognitive, la supériorité de l’apprentissage dispersé sur l’apprentissage massé n’est pas une vérité absolue, elle est contextuelle, là encore. Ce n’est pas moi qui l’affirme, mais un grand spécialiste de la mémoire – Roedigger -, qui en 2008, a également affirmé qu’on connaissait très peu la mémoire et qu’il n’y avait aucune loi, même s’il était convaincu qu’on en découvrirait un jour. Mais on est pour le moment loin de la constante de Planck.

On aura noté que neuropédagogie, neurosciences, pédagogie et psychologie se recoupent en bien des points, mais chacune de ces sciences est légitime à traiter les objets de connaissance dont elle s’empare, et aucune ne peut prétendre à la vérité exclusive. Ce qui manque, c’est de la communication entre les sciences, et la neuropédagogie se pose justement en outil pour en assurer le principe, pour apporter la réponse la plus appropriée aux problèmes en puisant d’une égale manière dans chacune des disciplines qui la composent, et s’assurer enfin de la validité écologique, c’est-à-dire si une découverte dans le milieu contrôlé du laboratoire, aux interactions limitées, est validée dans le milieu naturel de l’apprenant, aux interactions maximales.

Plus récemment, une quatrième composante de la neuropédagogie s’est fait jour, la santé, si bien que le cursus en neuropédagogie de la Harvard Graduate School of Education se nomme désormais Mind, Brain, Health and Education. La santé est effectivement importante pour créer un environnement d’apprentissage favorable.

Apprendre n’est pas qu’une « simple » question de santé, de fonction cognitive, de pédagogie, de neurones ; c’est un acte complexe qui unit tout cela, dont le résultat dépasse la somme des parties. Et le fondement de la neuropédagogie est de faire passer l’apprentissage de l’art à la science.

Notes

L’ensemble des liens hypertextes a été vérifié le 08 février 2018. Toutes les ressources présentées ci-dessous sont extrêmement sérieuses, et bien entendu, ne sont pas exhaustives.
(1) Sur les limites de l’observation du cerveau humain par le fmri : Nikos K. Logothetis et al. : Neurophysiological investigation of the basis of the fMRI signal | Nikos K. Logothetis : What we can do and what we cannot dowith fMRI
(2) Sur le traitement statistique des échantillons : Katherine S. Button, John P. A. Ioannidis, et al. : Power failure: why small sample size undermines the reliability of neuroscience
(3) Sur la légitimité des recherches en neurosciences en éducation : James P. Byrnes : Minds, Brains, and Learning : Understanding the Psychological and Educational Relevance of Neuroscientific Research, Guilford, avril 2001

3 thoughts on “Qu’est-ce que la neuropédagogie ?

  1. J’ai beaucoup apprécié votre article, je suis orthopédagogue en milieu pédopsychiatrique à Québec, je travaille avec des neuropsychologues, des orthophonistes et des ergothérapeutes, votre article recoupent nos préoccupations théoriques et pratiques. Nous tentons d’évaluer et de recommander selon les recherches probantes et M. Dehaene est une référence, en effet. Cependant un neuropédagogue ici est plutôt associé à une conférencière et auteure se basant sur les 7 intelligences de Gardner, ce qui pour nous ne peut être une référence probante, il s’agit de Mme Irène Duranleau. C’est dommage que ce titre au Québec fasse de l’ombre aux fondements que je viens de lire avec votre article. Bonne journée!

    1. Bonjour Madame Laferrière,

      Je vous remercie pour votre appréciation, mon égomètre monte de 10 points grâce à vous. Plus sérieusement, le titre de « neuropédagogue » n’est pas inscrit au répertoire des métiers, il n’est donc pas protégé, contrairement au titre d’orthopédagogue au Québec. Votre formation est excellente. Je crois savoir que l’Association de Neuroéducation a été fondée au Québec par des neuroscientifiques de l’Université Laval ou UQAM. Bref, le Canada a pris de l’avance sur la France. Vous avez Pierre-Paul Gagné qui fait de l’excellent travail et les superbes éditions Chenelière (l’une de mes sources officielles).

      J’ai lu l’intégralité des ouvrages publiés par Howard Gardner sur les intelligences multiples. Si l’enthousiasme originel a sans doute été trop intense (mais on peut aussi dire cela de la Gestion Mentale ou plus récemment de la neuroéducation ou neuropédagogie), les critiques actuelles le sont aussi. Pour ma part, j’ai assez peu utilisé les IM dans mes pratiques pédagogiques, elles me servaient uniquement à établir un profil des apprenants que j’accompagnais. Et en cela, c’est un outil magnifique parce que cela permet de connaître l’apprenant (savoir ce qu’il a fait dans son passé : s’il était lecteur, s’il aimait les jeux de logique, etc.), par conséquent de trouver des métaphores qui appartiennent à son champ culturel pour expliquer des notions plus complexes. Or on utilise beaucoup de métaphores dans l’enseignement, non ? Bref, IM et enseignement personnalisé, différencié, font très bon ménage à mon sens ; en tout cas c’est l’expérience que j’en ai eu. Enfin, la neuropsychologie a quand même avalisé 3 intelligences de Gardner.

      Cela fait 20 ans que je lis au minimum l’équivalent d’un livre par semaine (en fait, essentiellement des articles scientifiques publiés chez Wiley, Pearson, etc.) dans plusieurs domaines, et j’en suis venu à la conclusion qu’on sait très peu de choses, qu’il existe beaucoup de contradictions. Mes amis qui enseignent dans de prestigieuses Universités américaines me disent tous que c’est l’expérience qui compte, pas le titre, et certains vont même jusqu’à dire qu’ils ont des « practitioners » qui en savent plus qu’eux.

      J’aime beaucoup l’image que renvoie Stanislas Dehaene (je suis un fan inconditionnel) et j’ai regardé tous ses cours sur le site du Collège de France, lu tous ses articles et livres. Dans ce qu’il est et dans ce qu’il fait, c’est un modèle (naturellement, il y en a d’autres). Mais j’ai noté deux contradictions importantes : jamais il n’emploie l’approche neuropédagogique (ou neuroéducative) pour enseigner la neuropédagogie (ou neuroéducation). Cela reste du cours magistral. Seconde contradiction : il prend de plus en plus le parti de s’appuyer sur l’imagerie médicale (c’est normal, c’est un neuroscientifique) pour expliquer les comportements (l’apprentissage est un comportement), alors qu’on est très loin pour le moment de pouvoir le faire. Certes, j’ai noté qu’à chaque fois S. Dehaene émet les réserves qui s’imposent sur l’imagerie médicale (il emploie le conditionnel par exemple), mais bon, il y a quand même glissement.

      Tout ça pour dire que le monde est très complexe et que même l’esprit le plus brillant le connaît peu, et qu’au-delà des labels (tout ce que l’on peut apprendre dans les différentes formations et qui se solde par un titre), ce qui prime c’est l’expérience du terrain, la manière dont on s’approprie ce qu’on a appris. Je ne connais pas Madame Duranleau, mais peut-être que cette personne a développé un savoir-faire apprécié quand de l’autre côté l’homéopathie est une pseudo-science, mais qui guérit quand même pas mal de personnes.

      Quant à moi je suis très critique avec moi-même et avec les chercheurs dont je suis les travaux (et que j’adore en même temps, cela n’a rien de contradictoire), tout simplement parce que « la science ne dit pas la vérité, elle réduit les incertitudes ». J’essaie donc, autant que possible, de répéter que rien n’est simple. Et je commets beaucoup d’erreurs (ce n’est pas vendeur de l’affirmer, mais c’est la vérité).

      Je vous souhaite pas une bonne journée mais une excellente journée.

      Pascal Roulois

      1. Bonjour M. Roulois, en fait bonsoir pour vous!, Je me retrouve bien dans l’énoncé: plus on en apprend, moins on en sait… 😉 Il faut en effet apporter plusieurs nuances entre la recherche et la clinique, les modes et les méthodes miracles auront toujours un certain public. Je vous réfère à un autre chercheur que l’on apprécie actuellement et qui nous sensibilise aux neuromythes, M. Julien Mercier, chercheur à l’UQÀM. Je me méfie de la mode qui utilise le préfixe NEURO, pour faire savant.
        Actuellement, au Québec notre Association professionnelle des orthopédagogues ADOQ, poursuit ses travaux pour obtenir un Ordre professionnel, nous y travaillons depuis plusieurs années, notre titre n’est pas encore réservé et notre formation devra être consolidée pour mieux nous distinguer des enseignants en adaptation scolaire. Il n’y a pas d’orthopédagogues au Canada, il y a des aides à l’élève seulement. Il y a des orthophonistes au Canada anglais qui travaillent aussi le langage écrit. Au Québec, seule province francophone, nous n’avons pas le même système que dans le reste du pays, en Ontario, ils ont des modèles d’enseignement adapté très intéressant. Au Québec, la note de passage est de 60%, mais au Canada elle est de 50%.
        Voilà, vous êtes un peu plus au parfum de notre situation pour l’orthopédagogie. je vous réfère aussi au matériel de Mme Geneviève Boutin, orthopédagogue et conceptrice de matériel basé sur des recherches, dont une batterie d’épreuves pour la dyslexie/dysorthographie: Adolexie, cet outil est normé pour les élèves québécois, mais s’adapterait très bien pour la francophonie.
        Au plaisir!
        Manon L

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